Bonjour / Kalimera,
Ça fait longtemps que je n'ai plus rédigé et publié de compte-rendu de course, est-ce pour cela que les mots ne me viennent pas si facilement.. ou est-ce parce que cette course -qui est bien plus qu'une course- et tout ce que j'y ai vécu, ne se laisse pas facilement décrire..?
Bon, commençons tout simplement d'abord par décrire le 'truc' en question: le Spartathlon. C'est tout simplement mythique. Cette course en Grèce existe depuis 42ans.. ou depuis 2500ans pourrait on même dire: elle emprunte le parcours du coureur/messager Philippidès (le même a l'origine de la distance, plus raisonnable, du Marathon), qui en l'an 490 avant JC, avait relié Athènes à Sparte, en 36heures, pour demander de l'aide pour combattre les Perses.
Le parcours est et restera donc toujours le même, en allant d'Athènes -avec départ au pied de l'Acropole- à Sparte -avec arrivée au pied de la statue du roi Leonidas-, soit 246kms (avec 2700m de D+) plus loin. Et la durée maximale autorisée, barrière horaire donc, est et restera donc toujours la même, très sévère: 36heures.
La course est mythique et, par ses contraintes, élitistes: c'est compliqué de se qualifier pour avoir le privilège d'être sur la ligne de départ et très compliqué d'avoir l'honneur de franchir la ligne d'arrivée.
C'est une des courses les plus dures du monde; en fait c'est tout simplement le Graal quand on a la mauvaise idée (comme moi) de faire de l'ultra-endurance sur route.
Mais bon, est-ce que ça veut dire que j'ai toujours rêvé de la faire un jour cette course? Franchement non: je n'osais tout simplement pas espérer qu'un jour j'aurai le niveau pour avoir la chance d'y participer. Parce que oui, si rallier la ligne d'arrivée à Sparte est donc un travail de Titan [je vous préviens: 'va y'en avoir des expressions tirées de la mythologie grecque dans ce récit.. Allez, j'vous les mets en gras et italique..], même pouvoir se présenter donc sur la ligne de départ à Athènes n'est pas une mince affaire. Pour cela, il faut déjà satisfaire à des critères de sélection bien compliqués, notamment sur des courses de plus de 220kms ou des 24h. Quand j'ai donc appris mi-mars que j'allais pouvoir y participer et représenter mon plat pays (avec 11 autres compatriotes), j'ai ressenti autant de joie, que d'honneur, que de crainte/pression: crainte de ne pas être à la hauteur de cet incroyable événement et des exceptionnels athlètes que j'allais y côtoyer (Dans la délégation de mon pays, tous avaient de meilleures références que moi, dont notamment évidemment notre recordwoman nationale du 100km (7h32!) et notre champion national du 24h (232kms!)).. Bref, petit syndrome de l'imposteur qui allait m'obliger, en plus de la taille du défi, à vraiment m'entraîner comme jamais pour tenter d'être à la hauteur du truc et avoir une chance d'aller au bout, dans le temps maximum fixé de 36 petites heures.
La période de préparation fut donc longue et rude, avec énormément de bornes avalées, en entraînement (majoritairement sur les petites routes bitumées en bas de Charleval), comme avec un dossard (notamment un 48h et deux 24h). Hélas, tous ces kilomètres à faible allure et avec une foulée économe adaptée mais toujours identique, aboutissaient à force à une embêtante blessure chronique en haut des deux cuisses (oui, un peu au niveau des fessiers oui, ok..), qui nécessitait plusieurs périodes d'arrêt hélas, et au final plusieurs examens médicaux et ensuite séances de kiné, jusqu'à quelques jours avant mon départ pour la Grèce. Les derniers mois j'ai donc dû trouver le bon équilibre entre faire un maximum de bornes (avec des entraînements bi-quotidiens et une semaine notamment à plus de 200kms) et la gestion de la blessure (mais aussi les sorties plaisir, de trail, dont celles avec les TAC dans le Lub' , la Ste Victoire ou les Calanques; ou encore avec l'Ultra du Beaufortain). Enfin bref, fin septembre, au moment de partir pour la Grèce, je pouvais donc être satisfait de mon investissement niveau entraînement, mais avec quand même beaucoup d'incertitudes quant à la réussite de ce défi, liées aussi à ma blessure aux fess.. euh, cuisses..
Allez, passons, et envolons-nous donc pour Athènes, où j'atterris le mardi (avec la course débutant le samedi matin). Après deux jours de tourisme dans la jolie mais étouffante capitale grecque, avec bien sûr la visite de l'Acropole, je rejoins la station balnéaire de Glyfada, où se trouve l'hôtel de notre délégation. Parce que oui, comme je l'ai écrit, le Spartathlon c'est plus qu'une course: en s'inscrivant (pour 950euros..) on s'engage pas que pour les 246kms, mais aussi pour 5 jours et nuits au total, tous repas compris, dans un hôtel privatisé par l'organisation, d'abord à Athènes avant la course, puis à Sparte après l'arrivée, puis re- à Athènes pour les 2 derniers jours. Quand j'arrive sur place, je découvre le magnifique hôtel et rentre direct dans le vif du sujet en me rendant au retrait des dossards (dans ce même hôtel) et en voyant les premiers autres futurs-Spartathlètes, des délégations de toutes les parties du globe: Argentine, Hongrie, Paraguay, Israël, Hong-Kong, Etats-Unis, etc.
Là je retrouve également des compatriotes hollandais -coureurs ou assistants-, que je rencontre majoritairement pour la 1ère fois: comme j'habite et cours en France, je suis le seul qu'ils ne connaissent pas encore, même si on suit nos résultats respectifs par internet, sur un site dédié. J'en avais quand même croisé trois-quatre aux Pays-Bas en janvier lors d'un 100km là-bas, mais là ce sera évidemment l'occasion de bien mieux apprendre à se connaître, lors des repas ou sorties piscine ou plage ensemble notamment. Bref, je récupère donc mes deux dossards (immenses (mais sans sponsor évidemment, tradition oblige) et à porter toute la course devant et derrière), accompagnés de plusieurs cadeaux à l’effigie de la course, mais aussi d'un diplôme déjà, certifiant notre participation au Spartathlon. Je me dis que même si je n'arrive pas à finir la course (comme environ 40% des partants chaque édition), éjecté par les barrières horaires, j'aurais au moins déjà tout ça, en plus des souvenirs que cette petite semaine allait me donner..
Et ces souvenirs allaient être nombreux, la super ambiance entre athlètes en fait clairement partie. Partager tous ces moments avec ces champions qui m'impressionnaient est un énorme privilège et notre entente se passe très bien. Entre hollandais, mais évidemment aussi avec les autres délégations avec qui on partage l'hôtel. Dans cette discipline assez confidentielle qu'est l'ultra-fond, où y'a quand même pas énormément de coureurs ou même de courses, il y a vraiment une ambiance particulière, on y retrouve de la camaraderie, de l'humanité, de l'humilité, de la gentillesse, ce qui n'est hélas pas toujours la règle dans d'autres disciplines sportives.
Bref, super ambiance les 2 jours avant la course, et aussi super repas à volonté à l'hôtel, où j'essaie de prendre un maximum de carburant pour ce qui m'attend le samedi..
A noter que la veille, il nous faut donner à l'organisation nos sacs de délestage personnels. Pour ma part, courant sans assistance et sans sac (juste une ceinture élastique autour de ma taille avec une flasque d'un demi-litre), j'ai décidé d'en faire 9, que l'organisation acheminera aux points concernés, tel que marqué par nos soins sur ces sacs. Ça demande une vraie réflexion pour bien les faire et savoir quoi mettre dedans, en tenant compte de nos probables temps de passage à ces différents points, avec par exemple la lampe frontale à mettre au ravito' qu'on passera -si tout va bien- juste avant la tombée de la nuit, puis sa batterie de rechange quelques heures plus tard, et puis il y a les t-shirts et shorts propres, les nouvelles chaussettes aussi, la crème anti-frottement, les habits chauds pour la nuit et le passage en altitude, etc. Et à ça, il faut y ajouter aussi le ravitaillement perso' en liquide et solide: pour ma part ça se résume à de la StYorre, quelques gels, et des barres alimentaires, glissés plus ou moins logiquement dans les différents sacs. Et, pour le tout dernier sac, noté à être laissé au tout dernier ravitaillement, il y a un article moins habituel: le drapeau national, accompagnant un beau t-shirt neuf aux couleurs orangées de la Hollande. C'est ainsi que chaque finisher franchit la ligne d'arrivée à Sparte aux couleurs de son pays, et, symboliquement embrasse le pied de la statue de Leonidas, dans une ambiance a priori indescriptible, et dont j'ai rêvé de nombreuses nuits déjà..
Petit point pour ce qui est des ravito': il faut savoir que la course est aussi particulière pour ce qui est de son nombre de postes de ravitaillements, en effet sur tout le parcours de 246kms il y en a.. 74! Oui, oui, 74, donc un tous les 3,5kms environ! Du jamais vu. La majorité, surtout pour ceux situés avant la nuit, a simplement de l'eau, du coca, des biscuits, des chips et du sel, mais ceci permet donc de s'élancer comme moi sans camelbak et d'être certain de ne jamais être trop loin d'un point pour pouvoir s'hydrater, ce qui est indispensable, surtout vues les températures que la Grèce propose, même à ce moment là de l'année.. Et notre édition ne dérogera pas à la règle, au contraire même, avec des températures particulièrement élevée (31-32°) attendues le weekend (..aargh, horrible, moi qui déteste ça..).
Autre particularité pour ce qui est de ces ravito' / check-points ('CP'): ils ont tous leur heure fixée de fermeture, ils représentent donc tous des barrières horaires. D'ailleurs, à chaque point, il y a un tableau avec le numéro du ravito', le nombre de kms parcourus, l'heure de fermeture du check-point, le nombre de kms restants jusqu'à l'arrivée, la distance jusqu'au prochain point, et l'heure de fermeture de ce prochain point. Il y a donc 74 barrières horaires tout le long de la course, on a donc sans arrêt une terrible épée de Damoclès [j'étais obligé de la placer celle-là..] au-dessus de notre tête. On n'est donc jamais 'tranquille': contrairement à un ultra-trail où on peut souvent prendre le temps, voire dormir si nécessaire, ici il y a peu de latitude pour organiser son propre rythme et peu de places pour le repos (sauf pour les plus rapides/forts), vu la sévérité de ces barrières, en particulier pour la première moitié de course. Voyez plutôt: pour le check-point 4 (20,1kms) on n'a que 2h10 (il faut donc partir au-delà des 10km/h alors qu'on a 246kms à faire..), le check-point 11 (42,2kms) on n'a que 4h45 (pas le temps de traîner sur ce 1er marathon donc..), le check-point 28 (100kms) on n'a que 12h25 (un 1er 100bornes en moins de 12h30 donc..), etc. Et notons qu'à ces heures, il faut avoir quitté le ravito', il faut donc compter quelques minutes de moins pour avoir le temps de se ravitailler et/ou prendre les affaires de son sac de délestage. Et n'oublions évidemment pas, que respecter ces barrières horaires en partant vite c'est bien sympa, mais derrière, il en reste de la route jusqu'à Sparte, avec le gros du dénivelé (2700mD+) qui nous attend sur la 2ème partie de course.. En fait, c'est vraiment un équilibre très fragile à trouver entre vitesse et endurance.
Et oui, petite précision sur le déniv' du coup: évidemment 2700mD+ sur 246kms c'est loin d'être un ratio monstrueux, mais ce peu de déniv' fait bien mal aux pattes quand même, et l'allure est évidemment rapidement impactée lorsque la route monte, même légèrement. Mais surtout, le gros du dénivelé se trouve au-delà de 150kms, quand les jambes ont déjà bien pris cher. Et surtout, surtout, cette course sur route a une autre particularité qui renforce son côté mythique: elle a tout simplement une véritable partie trail / montagne..! Oui, oui, pour relier Athènes à Sparte, il faut passer une montagne qui culmine à 1200mD+, et cela se fait, comme Philippidès donc à l'époque, en franchissant le 'Sangas Pass', un col qui se situe après 160kms de route dans les gambettes. On se retrouve donc, de nuit, à quitter le bitume pour s'engager dans une partie vraiment trail, très raide et technique, avec 300m de D+ sur 2kms. Là-haut, il y a un check-point, 'Mountain Top', et puis on redescend de l'autre côté, avec là aussi une partie très raide et technique, qui n'est pas agréable (courable) du tout avec des jambes et chevilles raides, déshabituées après 162kms à faire des mouvements amples et souples..
Bon bref, vous l'avez compris, lorsque le car nous amène le samedi au petit matin de Glyfada au centre-ville d'Athènes, on sait que ce n'est pas une mince affaire qui nous attend, et cela se ressent dans le silence qui s'est emparé de chacun d'entre-nous. On arrive vers 6h30 au niveau du point de départ, situé sous l'Acropole, avec l'incroyable Parthénon qui nous contemple d'en haut. Il fait encore nuit, mais le jour commence à pointer le bout de son nez. Il y a déjà une centaine de coureurs (et soutiens) sur place. Je vois des coureurs de l'équipe de France, que je reconnais des ultras à domicile. On papote, on se souhaite bon courage. Parmi eux il y a notamment Gilles, légende vivante de l'ultra-fond qui a 'tout simplement' fini le Spartathlon.. 18 fois (oui, oui 18!), record absolu! On se connaît de l'Ultr'Ardèche où on a beaucoup partagé. C'est un peu une star ici en Grèce où tout le monde le salue. Il me souhaite bon courage et me dis d'en profiter. Je finis une dernière banane, bois un peu d'eau, fait un dernier pissou et vais rejoindre la masse compacte de coureurs derrière la ligne de départ. On est un peu moins de 390 coureurs (nombre maximum de participants chaque année), certains (dont 2 français) sont hélas absents pour cause de blessure de dernière minute, liée souvent à un surentraînement les dernières semaines. Ce n'est pas mon cas, et je me rends compte de la superbe chance déjà que j'ai d'être là, dossards (au pluriel) sur moi, prêt à me lancer enfin dans cette incroyable aventure du Spartathlon, dont je n'ai cessé de penser ces derniers longs mois. Il y a des discours, des hymnes, un moment de silence, et, alors qu'on voit le jour se lever sur l'Acropole, le top départ est donné, à pile poil 7h.
Et c'est donc parti: 364 coureurs du monde entier, souvent vêtus aux couleurs de leur pays, s'élancent pour les 246 mythiques kilomètres entre Athènes et Sparte. Là directement, j'essaie d'oublier tout le contexte, toute la pression, tout le reste, et je me mets dans ma bulle et mon allure de course, prêt à tenir et à tout donner pendant 36 longues/courtes heures pour rallier l'arrivée. Ça part vite (oui, tout est relatif, mais on n'est pas sur une course de 20 bornes..), certain très vite, moi et les coureurs autour, au-delà des 10km/h, avec en tête évidemment les cruelles barrières qui nous attendent tout le long. L'idée est de tenter de prendre un peu d'avance dessus, éventuellement jusqu'à 1 heure, pour avoir un petit peu de marge sur la 2ème partie de course, où l'organisme sera usé et avancera bien moins vite et aura besoin de plus d'arrêts.
Et il y a aussi le facteur chaleur: la journée est annoncée comme très chaude, et il faut donc aussi profiter de ces quelques heures agréables pour avaler un bon paquet de kilomètres.. Enfin bon, tout ça sans s'enflammer évidemment: je sais qu'autour de moi il y a vraiment des champions, des coureurs qui vont sortir tout ça en 30 heures seulement, il n'y a pas de rigolos sur une telle course, il ne faut donc surtout pas chercher à suivre les autres et tenir son propre rythme, quitte à se retrouver dans les derniers. Évidemment, comme pour la grande majorité des partants ,il n'y a aucune recherche de classement, le but est bien sûr de terminer et de devenir, à tout jamais, finisher du Spartathlon, ce qui serait tellement beau.
Mais pour l'instant on n'est pas dans le beau, loin de là: on court dans les rues d'Athènes et rapidement de sa périphérie, le trafic déjà assez intense est arrêté par les policiers pour nous laisser la place, mais en gros, on court sur le côté de grosses routes guère charmantes où les conducteurs ont le klaxon facile, pas nécessairement pour nous saluer, plutôt parce qu'ils s'impatientent pour que ces fadas de coureurs libèrent le carrefour. En s'éloignant d'Athènes, on rentre rapidement dans de longues zones industrielles qui n'ont rien de charmants. Les raffineries de pétroles et autres usines s’enchaînent, alors qu'on court sur le bord des routes, très polluées par une tonne de déchets jetés là. Et avec les voitures qui nous passent à tout vitesse à côté. Oui, on n'va pas se mentir, on est très loin d'un paysage idyllique d'une carte postale grecque.. Mais bon, en ultra-fond on fait souvent des courses à la con en boucles par exemple, donc le paysage, plus ou moins agréable, c'est pas ce qui va nous freiner..
On passe les premiers petits ravitos, constitués de petites tables au bord de la route, avec donc à boire et un peu à grignoter. Comme je cours avec une gourde emplie de StYorre sur moi je peux en zapper certains, mais avec la chaleur qui monte, je ne me prive pas de m'hydrater et surtout m'arroser. D'ailleurs, ce sera l'intérêt majeur de ces points de ravitaillement si nombreux: l'organisation a bien fait son travail en mettant constamment à disposition des bacs avec de l'eau, mais aussi avec des éponges et surtout des glaçons, indispensables pour refroidir le corps, alors que les températures continuent de grimper. C'est ainsi qu'en journée, au final, je m'arrêterais presque tous les ravito' (malgré la petite perte de temps que ça implique) pour tremper ma casquette saharienne (moche oui), mais aussi pour mettre un tas de glaçons sous cette même casquette et pour coincer une grosse éponge trempée dans mon t-shirt au niveau du cou. Il y aura vraiment un énorme combat contre la chaleur, qui est souvent très difficilement supportable pour moi, malgré évidemment pas mal d'entraînements (horribles) cet été en plein cagnard pour m'y habituer un peu..
Pour ce qui est de mon allure de course, je maintiens un (relatif) bon rythme, sans regarder ma montre pour ce qui est de la distance parcourue ou de la vitesse: j'ai d'ailleurs mis tout simplement l'écran de l'heure, je sais que l'idée est toujours de continuer à avancer le mieux possible jusqu'au lendemain 19h max. Je ne regarde pas non plus les panneaux des ravito' avec les heures limites à respecter: je ne vais pas calculer à chaque fois le temps qu'il me reste et si j'ai perdu ou gagné du temps sur la barrière horaire, je sais qu'elle existe, qu'elle sera derrière moi en train de me chasser tout le long, et la seule chose que je peux faire c'est d'avancer, toujours avancer, au maximum de mes capacités en essayant de doser au mieux pour que ça tienne 246kms.
Ce que je finis par regarder par contre, c'est le numéro des check-points parce que je sais qu'un 1er sac de délestage m'attend au 'CP 12', soit après 44kms (on y aura donc fait un premier marathon). Les 9 points où se trouvent mes sacs de délestage serviront aussi quelque part à découper ma course en sections distinctes: la 1ère section est donc la plus longue avec ces 44kms, ensuite, ça allait être autour de 25 ou 30kms à chaque fois, ce qui permet de se projeter un peu sur une distance 'raisonnable'. A noter que ces 9 points, je les ai (comme beaucoup d'autres coureurs) minutieusement notés à l'arrière de mes dossards, comme un pense-bête en courant pour savoir quel allait être le prochain point à viser. J'y ai indiqué aussi l'heure limite du ravito', l'heure à laquelle il fallait donc quitter le stand sous peine d'exclusion de la course.
Je n'avais évidemment pas toutes les autres barrières horaires en tête, je sais juste qu'il serait bien que je coure le 1er marathon en 4h30 environ. Lorsque j'y arrive je regarde ma montre et vois que j'en suis à 4h24 de course, dans les temps donc. Mais quasiment sans aucun arrêt, sans vrai arrêt pour l'instant au stand avec un éventuel sac d'affaires personnelles, sans arrêt pissou même (je me le suis interdit toute cette durée: c'est con, mais il se pourrait que la réussite de la course ne se joue qu'à quelques petites minutes..). Et quand je pense donc à la barrière horaire à ce point là (:4h45), je me dis que je n'ai que 20minutes d'avance, alors que franchement j'ai vraiment bien couru, à un beau rythme, sans chômer. C'est là où on se rend compte encore qu'on n'est vraiment pas dans une course classique, là c'est sans pitié, y'aura que les plus forts qui arriveront à rallier Sparte.
A noter qu'au ravito' du 44km, on retrouve pour la 1ère fois l'assistance: pas mal de coureurs ont leur voiture d'assistance qui les suit tout le long, avec leurs proches qui peuvent aider leur coureurs à certains check-points du parcours, une quinzaine en tout. Durant la course, je croise donc régulièrement les mêmes voitures et assistants qui suivent les coureurs proches de moi.
Vue cette faible marge, la durée de mes arrêts aux stands, avec sacs ou pas sacs, sera donc à chaque fois limitée, avec priorité à l'hydratation et le refroidissement du corps, avec donc régulièrement de nouveaux glaçons sous la casquettes et une éponge dans le dos. Surtout que là on attaque les heures les plus chaudes de la journée: il est midi passé, le soleil tape violemment. On a quitté les moches zones industrielles mais on se retrouve sur une route encore plus grande et fréquentée: on court carrément sur.. l'autoroute! La voie à droite nous est réservée, l'image est assez dingue d'avoir à perte de vue des coureurs qui trottinent sur cette autoroute qui semble interminable, alors que les voitures passent à notre gauche à vive allure.. (pff, il aurait pas pu prendre les petites route ce Philippidès..?)
Mais une fois qu'on est sortis de l'autoroute (sans péage à payer pour nous), on se retrouve sur une belle route côtière où on se trouve à courir avec la superbe mer Egée à notre gauche, ces kilomètres là sont donc magnifiques. Ce n'est jamais vraiment plat, mais le dénivelé est très raisonnable, rien à voir à ce qui nous attendra cette nuit. La masse de coureurs s'est évidemment beaucoup diluée et il n'y a plus que quelques petites grappes de coureurs le long de cette interminable route. Je regarde les noms sur les dossards des coureurs devant moi et tente de deviner leur origine. Y'a un coureur asiatique avec qui on n'arrête pas de se croiser, doubler, redoubler: d'après son dossard il s'appelle Lin (je pense que ça c'est son prénom) et vient de Taïwan, ça c'est son maillot qui me le dit. Il a un short rose fluo mais surtout, aux pieds, des.. tongs en plastique..! Oui, oui, il court, à 10km/h environ, sur des tongs en plastique, et compte bien faire 246kms ainsi (pff, il aurait pu mettre des spartiates plutôt..). C'est bien sûr assez étonnant, mais finalement pas si exceptionnel: j'ai déjà croisé 3-4 autres coureurs asiatiques avec le même type de 'chaussures'. Ça fait des dizaines de kilomètres qu'on coure jamais trop éloigné l'un de l'autre, mais on ne papote pas: d'une part parce que contrairement aux ultra-trails où j'ai la tchatche facile et adore échanger avec les autres trailers, là je préfère rester dans ma bulle, rester sur mon allure précise et écouter les sensations de mon corps, mais aussi parce que de toute façon, j'ai bien compris via les ravito's où on s'arrête parfois ensemble que Lin ne parle pas anglais (contrairement à la grande majorité des autres coureurs des différents coins de monde) et arrive juste à réclamer de la glace «Ice, ice, more ice..» aux bénévoles des stands. Au fur et à mesure qu'on progresse et qu'on se recroise pour la n'ième fois, on échange quand même parfois quelques rapides regards ou pouces levés, en se disant intérieurement que c'est quand même dingue qu'après tous ces kilomètres on soit toujours dans les mêmes allures.
Bon, on continue d'avancer et on se rapproche du check-point où un 2ème sac m'attend: le CP19, situé à 70kms et qu'il faut avoir quitté avant 15h apparemment (je lis toutes ces infos au dos de mon dossard). Il faudra donc avoir fait ces 70kms en moins de 8h. J'y arrive après 7h50 de course, je n'ai donc que 10 minutes d'avance sur la barrière horaire éliminatoire. Bon, ça je le découvrirai qu'après-coup en étudiant ma Garmin, là je ne le sais pas, et heureusement, et puis de toute façon je ne peux pas aller plus vite (enfin si, bien sûr, mais alors je ne tiendrais pas 200bornes) et je ne suis vraiment pas en train de me la glander douce. Je sais aussi que c'est surtout sur ce premier tiers de course que les barrières sont les plus sévères, après y'a un peu plus de jeu.. à condition évidemment d'avoir encore les jambes pour poursuivre sur un rythme suffisant.. L'arrêt ravito' va vite, de toute façon je n'ai que de la StYorre dans le sac et des barres, pas de changement d'habits prévu encore.
Je repars, direction un passage assez emblématique du parcours: l'isthme de Corinthe, cette fine bande de terre qui sépare la Grèce continentale et la péninsule du Péloponnèse. On va traverser un petit pont passant l'étroit mais profond canal de Corinthe, il paraît que la vue y est impressionnante, mais bêtement je ne pense pas à regarder en bas et suis plutôt concentré sur la route devant moi, mais aussi sur le photographe qui immortalise notre passage là-bas (j'enlève même ma vilaine casquette saharienne pour l'occase' (ça va: j'suis encore lucide..)).
Je regarde au dos de mon dossard pour savoir quel sera le prochain CP où m'attend un sac (non pas que j'en ai besoin concrètement, mais plutôt mentalement pour avoir un prochain point vers lequel me projeter): apparemment ce sera le CP 29 au km 102, et il sera important celui-là, déjà parce que ça voudra dire que j'ai passé les 100bornes donc, mais aussi et surtout parce c'est là où m'attend pas mal d'affaires, dont surtout la frontale. Je l'ai mise là-bas, parce que l'heure de fermeture y est de 19h45, donc je supposais y passer vers 19h15, au moment où le soleil se couchait et où cette frontale allait donc être indispensable.
Mais avant d'y arriver on passe par Corinthe, connue pour ses raisins, mais surtout sa fameuse ancienne ville, avec son célèbre site archéologique où des ruines de presque 2500 ans nous voient passer. Et moi j'en profite pour les admirer aussi, en n'ayant hélas pas le temps de m'y arrêter pour regarder ça plus paisiblement.
Ce n'est plus très clair dans ma tête, mais il me semble que c'est dans ces eaux là que je vois pour la première fois depuis le top départ un compatriote hollandais. Ils sont tous (logiquement, car plus forts) partis plus vite que moi, mais voilà donc que j'en rattrape un premier. C'est Arjan [oui, oui, c'est un prénom hollandais.. et encore, vous verrez, y'a pire..] et il ne semble pas être au top. On se parle, et en effet, il me dit avoir mal aux ischio's. C'est pas bon: on n'a pas encore fait 100bornes, c'est trop tôt pour avoir de telles douleurs.. On se souhaite bon courage, je poursuis ma route avec un rythme désormais plus rapide que le sien. Je découvrirai plus tard (par les membres de l'équipe) qu'il a dû renoncer au CP35, après 123kms. Un peu de la même manière, mais plus tard dans la course, je croiserai Endy, 2ème hollandais que je rattrape sur le parcours. Lui c'est à un ravito et il se touche les mollets. C'est peut-être le talon d'Achille [oui, j'ai juste mis ça pour placer cette référence à la mythologie grecque encore..]. C'est son 6ème Spartathlon d'affilée, il en a terminé 2. Là il ne bouclera pas son 3ème: j'apprendrai plus tard qu'il a dû renoncer après 160kms, juste avant la partie trail. C'est évidemment terrible pour eux et leurs blessures devaient vraiment être insupportables à la fin pour ne plus pouvoir poursuivre. On est dans une course où pour beaucoup de coureurs il y aura un moment où ce sera terriblement douloureux de continuer, mais, à ce moment-là il ne faut pas oublier qu'il est bien plus douloureux encore d'arrêter..
Un peu plus tard je rattrape aussi un 3ème hollandais, habillé en orange, mais lui va encore très bien, c'est Sjirk [j'vous avais prévenus..]. Lui il a 60ans passés, mais c'est un monstre. Ancien champion national du 24h et finisher 2 fois sur 2 du Spartathlon. Il est allé à Paris deux fois en partant du nord des Pays-Bas.. et les deux fois en vélo, tout simplement. On papote tout en continuant à bien avancer. Chacun à son propre rythme bien sûr, donc on se quitte avant de se retrouver plus tard.. et ça plusieurs fois.. [notre ami Sjirk, va refaire son retour dans ce récit plus tard..]
Bon, j'arrive enfin au gros ravito 29, où m'attend donc mon sac. Avec une telle heure de fermeture (19h45), cela veut donc dire qu'il faut avoir parcouru 102kms en moins de 12h45, là encore ce n'est pas une sinécure. Les parents d'un hollandais [lui il s'appelle Tijmen, encore un magnifique prénom oui] parti de là juste avant, prennent de mes nouvelles et me demandent si je veux des frites-mayo' [repas de base en Hollande..].. Je pense qu'ils plaisantent, mais non, ils en ont vraiment.. Ils me disent que je suis bien là, que ça roule. Je dis mon inquiétude quand même quant aux barrières horaires, constamment à notre trousse. La fille me dit qu'ils sont comme des 'Pac-man' qui nous suivent et cherchent à nous croquer.. C'est vrai, et il faut donc que j'évite d'arriver dans un mode 'zombie', sans énergie, qui à la longue se ferait inévitablement croquer..
En regardant après-coup ma Garmin, je vois que j'ai fait les premiers 100kms en 11h44 (je n'ai pas chômé, alors qu'il reste 146kms derrière) et que j'arrive à ce gros check-point des 102kms après pile 12h de course, à pile 19h donc. J'ai donc désormais 45minutes d'avance sur la barrière horaire. Oui, certes, mais, n'oublions pas qu'il s'agit de l'heure de fermeture du stand, alors que là, j'ai un sac à récupérer et un peu de logistique à faire: il y a ma frontale, mais aussi une serviette et une tenue complète pour que je me change et soit propre et sec pour attaquer la looongue nuit qui nous attend. Il faut donc que je fasse une petite toilette de chat et me change de la tête aux pieds, caleçon compris, sans oublier de mettre de la Nok (crème anti-frottement) avant d'enfiler les chaussures puis chaussettes. Tout ça, striptease intégral compris, je le fais assez piteusement assis sur le bord d'un trottoir, les ravito' étant tous dehors, juste au bord de la route. Et celui-ci est bondé avec l'autorisation de la présence de l'assistance, et beaucoup de coureurs qui, comme moi, se changent pour attaquer la nuit qui est en train de tomber. Tout ça ne me laisse pas trop le temps de vraiment me (re)poser, et au final ma Garmin m'apprend que je me serais arrêté que simplement 15minutes à ce CP, ravitaillement en eau et bouffe compris. C'est donc avec environ 30minutes d'avance sur la barrière horaire que je repars, alors que le soleil se couche et que le ballet des petites lampes frontales va commencer..
D'ailleurs, je repousse au maximum le moment où je participe moi aussi à ce show lumineux: je garde ma frontale éteinte le plus longtemps possible, pour deux raisons distinctes: l'une parce que j'aime courir dans la nuit, sous les étoiles, avec les yeux qui petits à petits s'habituent à l'obscurité, et comme ça je repousse aussi le mode nuit total, où on a ce gros faisceau de lumière artificielle au-dessus de nos yeux, mode qui va durer de longues heures ensuite, et que je remets donc simplement à un peu plus tard. Et l'autre raison est bien plus concrète: je sais que mon prochain sac, contenant l'indispensable batterie de rechange, se trouve au CP40 au km 140. J'ai donc 38kms à faire avant d'y être, plus de 5heures donc, et il ne faudrait pas que je me retrouve en rade de lumière.. Enfin, bref, c'est donc frontale éteinte que je progresse durant cette première heure nocturne, qui va de pair avec des températures enfin plus basses, après cette journée éreintante sous un soleil brûlant. A noter d'ailleurs, que lors du ravito' 'changement de tenue', j'en ai profité pour enfin larguer ma casquette saharienne, un peu de dignité esthétique pour ces heures nocturnes (..euh, même si, logiquement on progresse dans l'obscurité maintenant avec des routes désormais quasi-désertes..).
Même si on n'est jamais totalement seul sur des kilomètres, il y a quand même de moins en moins de coureurs dans les alentours (je ne le sais pas et n'y pense pas à ce moment-là mais beaucoup de coureurs ont déjà abandonné ou on été rattrapés par les barrières horaires). Alors que je me dis que ça commence vraiment à être indispensable c'te frontale, voilà qu'on arrive à un petit village avec ravito', je peux repousser donc encore un peu l'allumage des feux.. Avant d'arriver au stand, y'a un petit garçon qui se dirige vers moi et me tend un cahier. Il me demande.. un autographe..! Les 'anciens' m'avaient dit que ça pouvait arriver, qu'il y avait des enfants qui cherchaient à obtenir un max de signatures ce jour-là. Moment unique là encore.
Au ravito', pas de souci de rafraîchissement du corps désormais avec la baisse des températures, mais évidemment toujours le souci de continuer à mettre de l'essence dans le moteur en buvant et mangeant bien. J'avoue que je me languis de manger de la bouffe 'normale' un peu, mais là encore, il n'y a pas de pâtes, de soupe ou même du pain, juste encore ces chips, ces biscuits et heureusement des bananes (oui, parfois c'est un peu.. spartiate [désolé..]). Je suis content de voir que mon ventre accepte encore un peu tout ce que je lui propose, même si je me dis qu'il commence vraiment à être temps de manger un vrai repas bientôt.. vivement que je passe à un ravito' qui en propose enfin..
Et justement, voilà qu'on arrive à Néméa, village près de l'ancien sanctuaire de Némée, sûrement très joli, mais de nuit, c'est moins appréciable. Il y a là un des plus gros check-points, une véritable base-vie à côté d'une belle petite église, avec des tables et chaises, un gros barnum sous lequel des soins médicaux sont proposés, des repas chauds (aah, enfin) et la présence des équipes d'assistance. C'est le CP35, à plus de 123kms, c'est-à-dire à mi-course donc. Logiquement beaucoup de coureurs ont décomposé leur course avec ce point comme fin de section / début de section, et y ont laissé un sac pour se changer, avant d'attaquer la partie d'après.
Ce n'est pas vraiment mon cas, je suis plus dans l'idée que le CP40 (141km), où il y aura mon 4ème sac, sera une étape de plus dans le long chemin vers l'arrivée, même si c'est totalement arbitraire et que ce n'est évidemment pas le fait d'y retrouver une 2ème batterie de frontale et des manchons, à 1h du mat' environ, qui va vraiment marquer le début d'une nouvelle phase de cette course..
Petite remarque du coup sur ce découpage du parcours en sections différentes [oui, il est interminable ce récap'.. allez, courage, on n'lâche rien.. petite pause ravito' sinon..]. Les gens se demandent parfois comment on gère mentalement sur de telles distances, qui sont tellement absurdement grandes qu'il semble terriblement dur de se projeter aussi longtemps sur l'arrivée, et ce alors qu'on a 200kms à courir, puis encore 170, puis 150, puis 'plus que' 140, etc. L'idée est évidemment de découper le parcours total en différentes parties moins imposantes, pour pouvoir à chaque fois se projeter vers la fin de cette sous-partie, plus raisonnable, avant d'attaquer la prochaine, sans vraiment penser à la distance totale nous séparant de l'arrivée.
Cela se fait aussi sur des courses beaucoup moins longues: notamment en trail, où on découpe le parcours en fonction des ravito' souvent («Allez, d'abord 12kms jusqu'au 1er ravito', puis 14 jusqu'au 2nd et puis il restera 11 pour rallier l'arrivée..») et/ou des du dénivelé («8kms de montée jusqu'à 2200m, puis 2kms sur les crêtes, puis descente roulante de 6kms, puis on remonte jusqu'au point culminant à 2400m, et puis très longue descente finale jusqu'à l'arrivée..»).
Le problème ici c'est non seulement qu'une telle distance de 246km nécessite beaucoup plus de découpage, mais surtout sur cette course particulière du Spartathlon, on ne peut pas le découper en fonction du dénivelé (euh, sauf à dire «Vallonné du départ jusqu'au km 160, partie trail sur 4kms, puis vallonné 80kms jusqu'à l'arrivée»..) et c'est difficile de le faire en fonction de la présence de ravito': il y en a 74 sur tout le parcours.. Je suppose que ceux qui ont l'assistance font le découpage aussi en fonction de là où il ont du monde qui les attend; pour ma part je le fait donc un peu en fonction de là où un petit sac m'attend, même si celui-ci ne contient finalement qu'une barre et un tour-de-cou). C'est donc assez artificiel, mais au moins j'ai mes différents jalons/points que je cherche à atteindre à chaque fois, telle de mini-victoires, sans célébration parce que le prochain attend déjà.. Tel le rocher de Sisyphe, on a la corvée de devoir le pousser péniblement jusqu'en haut de la colline / jusqu'au ravito', mais une fois arrivé là-bas, il nous faut recommencer cette même tâche (jusqu'au ravito' d'après) et ainsi de suite..
Notons qu'évidemment on regarde peu la montre (pour l'heure et le kilométrage) en début de course, et puis de plus en plus, et alors qu'au début on progresse de manière discipliné vers la fin de la sous-partie fixée, à la fin, on se fixe des sous-sous-parties de parcours, pour qu'elles soient moins longues, en regardant très/trop régulièrement la montre pour savoir quand est-ce que ce p#tain de ravito' arrive enfin.. C'est ainsi que là par exemple, je pense avoir regardé ma montre 3 fois jusqu'au km 44 (qui marquait la fin de mon 1er segment), alors qu'après 220kms, je n'arrêtais pas de regarder pour voir quand est-ce que ce km 221.. puis km 222, arrivait enfin..
Bref, pour moi donc ce CP35, base vie de Néméa, située pile à mi-parcours, n'était pas une fin en soi, juste un passage vers le CP40, au km 140 lui, dans le village de Malandreni.
Mais bon, pour autant ce n'est pas une raison pour zapper ce ravito'. Au contraire même, sachant qu'il y a des chaises et propose donc à manger chaud. Je suis arrivé à 22h16, l'heure de fermeture est de 23h, j'ai donc (un peu) le temps. Je me pose sur une chaise à côté de la porte d'entrée de la petite église, ouverte d'ailleurs (je n'ai pas l'énergie ou le temps de faire sa visite). Je demande des pâtes à un bénévole et un coca (je remarque que mes jambes ne semblent plus trop avoir le pep's pour aller les chercher moi-même), qui me les amène gentiment. Hélas le repas ne sera pas, comme espéré, chaud et opulent: les pâtes sont froides et blindées de parmesan, que j'évite de trop ingurgiter pour ménager mes intestins. Le verre de coca, posé au sol, je le renverse maladroitement, signe encore que je ne suis clairement plus à 100% et que le travail de sape de ce parcours et la chaleur qu'on a subie toute la journée ont fait des dégâts quand même.. Mais bon, «Quand je me regarde je me désole, quand je me compare je me console»: d'autres semblent bien plus mal en point que moi. En étudiant aujourd'hui le tableau des 'DNF' [=Did Not Finish.. pour raison d'abandon ou de barrières horaires], je découvre que rien que sur cette base-vie, il y a eu 26! C'est énorme. Même si je sens donc mes jambes moins bien qu'il y a quelques heures, moi je suis loin de risquer le DNF quand même: le mental reste au top (je continue à essayer de profiter de chaque instant de cette expérience incroyable, je suis trop content d'être là.. même si c'est de plus en plus dur évidemment) et la barrière horaire me préoccupe encore moins qu'avant: j'ai construit une avance correcte, je sais qu'elles étaient le plus sévères dans cette 1ère moitié de course, et surtout mes jambes, même lourdes, n'ont aucun signe de blessure.. euh, ou alors je ne veux pas le voir cet éventuel signe.. [on y revient très bientôt..]
Je décide de reprendre ma route, en laissant les 2/3 de la barquette de pâtes, mais en reprenant une poignée de chips ou cacahuètes et un peu de pain. Allez, on repart, direction donc ce CP40, qui est au km 140. 17 bornes à faire donc (avec entre-temps encore et toujours de petits ravito', moins indispensables à ce moment-là, vue aussi la température désormais agréable).
La frontale est allumée, il est désormais minuit, tous ceux encore en course après désormais 17 heures d'effort, continuent d'avancer avec en tête ce rêve d'arriver à Sparte, avant 19h demain. Je suis étonné de revoir pour la n'ième fois Lin, le Taïwanais au short rose et aux tongs blanches, on continue de se croiser, toujours sans s'échanger de mots. C'est le grand silence sur les petites routes grecques, les quelques coureurs que je peux apercevoir devant courent seul, tête baissée, avec le sol goudronné éclairé par leurs frontales. J'aime être en course la nuit, j'aime l'idée d'être là au fin fond de la Grèce, sur des chemins qui me sont totalement inconnus, sous un ciel étoilé, juste en train de courir en suivant le balisage peint en jaune au bord de la route, avec des pensées qui divaguent ou qui se reposent.. Là on est vraiment hors du temps, loin du monde concret. Je suis dans un état paradoxal où mon corps est quand même de plus en plus douloureux et où mon mental est mis à rude épreuve, et, en même temps, où je ressens rien de plus que le bien-être d'être ici, à ce moment-là, quelque part hors du temps et du monde donc..
Mais en arrivant enfin dans le village de Malandreni, je retrouve du monde justement, et ce n'est pas plus mal aussi, je suis enfin arrivé au check-point 40, un ravito' bien animé sur la place principale du petit village. J'ai désormais parcouru 140 kms, il est désormais 0h40, mon avance sur la barrière horaire s'est apparemment creusé, avec une heure de fermeture qui est à 1h50. Je ne découvre l'évolution de mon avance sur les barrière que maintenant avec la Garmin, sur le coup, je tente de ne pas être trop focus sur ces barrières horaires, mais tout en essayant de bien sûr de ne jamais m'endormir sur un faux rythme.. ou m'endormir tout court, ce qui n'est pas envisageable, mais d'ailleurs nullement envisagé. Je suis désormais habitué à une nuit blanche de running, dormir n'est pas nécessaire, y'aura juste les 2 petites heures avant le lever de soleil où y'aura quand même pour moi un petit combat avec la fatigue.
A ce ravito', l'assistance est autorisée à nouveau. Je revois les parents du jeune Tijmen, le père a déjà fini le Spartathlon, il me donne de précieux conseils. La sœur me rassure en disant que les petits 'Pac-man' ont été pas mal distancés là, que la menace s'amoindrit. Ici je retrouve mon 4ème sac. A l'intérieur, j'ai ma 2ème batterie de frontale, que je mets directement, afin de larguer ici la 1ère. Y'a une paire de manchons, que j'enfile juste aux poignets pour l'instant, et un buff que je ne prends pas il me semble. Et il y a une barre et un gel que je glisse dans ma ceinture élastique pour la suite de l'aventure jusqu'au prochain check-point 'important' (donc là où j'ai laissé un sac, et qui me sert donc de repère pour la prochain sous-partie à devoir avaler), qui, en l'occurrence, sera le CP 47 et là, pour la course, vraiment un point particulier marquant une véritable rupture.. En effet, on sera à 160kms, à 'Mountain Base': le point où l'on quittera enfin le bitume pour s'attaquer à la 'montagne', avec 4kms de trail, 2 en montée raide, 2 en descente, tout autant pentue. Bref, un passage primordial dans la course.. mais que je suis encore loin d'atteindre pour l'instant: j'ai 20 bornes à faire pour cela, et elles seront en montée, chose dont je ne me doutais pas trop à ce moment-là, pensant plutôt que le gros du déniv' allait se trouver après, dans la fameuse section montagne. En fait, sur ces 20bornes, on prend 500m de D+ avant même la partie montagne, et ils me seront vraiment pénibles.
Bref, prochain objectif: 'Mountain Base' donc, avec sa partie trail. J'ai hâte d'y être; non seulement parce que j'aurai 20kms de plus au compteur et qu'on sera à 160kms, mais aussi parce que je suis curieux d'enfin découvrir cette partie montagne dont on m'a beaucoup parlé, et où surtout on va enfin quitter un peu le bitume pour changer la démarche, avec une pause, enfin, pour cette foulée rasante inlassablement répétée, que j'adopte depuis tant d'heures..
On est vraiment au plein cœur de la nuit, c'est calme, pas de voitures, surtout sur ces routes de plus en plus petites, qui mènent jusqu'au pied de la montagne. On n'arrête pas de monter, et même si la pente est faible, c'est très dur après tous ces kilomètres dans les jambes. Je marche sur certaines parties, je sais que les barrières horaires tiennent évidemment compte du dénivelé et qu'on n'est plus obligés de tracer à 10km/h comme au début, chose impossible de toute façon désormais à faire. Ça commence à être de plus en plus compliqué, surtout qu'une gêne que je ressentais au niveau du genou gauche devient de plus en plus douloureuse et handicapante. Mon genou semble gonflé et je n'arrive plus à le plier normalement. Ça affecte ma foulée et me fait de plus en plus mal lorsque je cours. Là j'ai une grosse inquiétude: autant j'ai l'impression que mon niveau d'énergie sera suffisant pour faire les 90kms qu'il reste dans les temps, autant si je ne peux plus courir, là ce sera foutu évidemment. J'essaie d'adapter ma foulée pour pouvoir continuer de trottiner quand le terrain le permet, mais c'est loin d'être le top. Comme ça ne fait presque que monter sur cette partie et qu'il y a beaucoup de parties marche, c'est un peu moins gênant pour ce qui est de mon avance sur les barrières horaires, mais je sais que c'est un vrai problème pour la suite, qui est encore très longue.. Je sais qu'il faut que je serre les dents, mais que tenir avec une telle douleur encore 16heures (il est 3h du mat', l'heure d'arrivée limite à Sparte est 19h) semble plus que compliquée..
J'ai encore plus hâte d'arriver à la base vie du CP47, mais les kilomètres semblent vraiment interminables. Il y a quand même un site assez impressionnant avec ce qui semble être une chapelle troglodytique creusée dans un flan de falaise.. Mais bon, il fait nuit, donc j'ai du mal à bien distinguer ce que c'est exactement. En regardant au loin, je distingue par contre clairement de petites frontales avancer sur une route qui monte, qui monte.. mais sans que ça ne soit encore la partie montagne. Je regarde sans cesse ma montre sur laquelle les kilomètres ne défilent que très/trop lentement.. On est au 156ème, plus que 4, 157, plus que 3, 158 ,etc. Et voilà que là, au loin devant moi, je vois désormais de petites lumières dans le ciel, se confondant presque avec les étoiles. Ce sont bien des frontales, qui semblent monter un mur invisible dans la nuit. Oui, pas de doute, ils sont sur la partie montagne, qui semble effrayante.. Mais bon, cela veut dire que ce satané ravito' n'est donc plus trop loin..
Ca y'est: 160kms, enfin j'arrive à cette base vie, en boitant. Je suis content de pouvoir m'asseoir. Une jeune fille qui a vu mon dossard m'apporte directement mon sac et me demande si je veux manger, des pommes de terre il me semble. Oui, avec plaisir. Faut que je reprenne des forces, remplisse ma flasque, faut que je me m'habille (pour la partie montagne très venteuse) avec le t-shirt manches longues, la veste coupe-vent et un buff, et 'faut que je trouve quoi faire avec mon genou gauche, vraiment gonflé désormais et douloureux. Et tout ça sans traîner, même si je pense être pas mal niveau barrières horaires. En effet, je vois maintenant que j'arrive au ravito' à 4h du mat' avec une heure de fermeture à 5h10. Mais bon, j'ai toute ma logistique à gérer donc avant de pouvoir repartir et il faudrait que je puisse recourir après.. euh, même si là c'est la partie trail qui nous attend dans l'immédiat. Je m'alimente bien, je suis content de voir que mes intestins sont solides et acceptent ce que je leur sers. Puis je m'habille chaudement, même si dans l'immédiat je n'ai pas froid. Et puis je me demande quoi faire avec mon genou, tout gonflé. A mes côtés, est assis un coureur qui souffre de troubles d'estomac, cause fréquente d'abandon au final. Je vois qu'un docteur lui vient en aide. Ah ben, ça tombe bien: y'a donc des médecins/kinés à ce poste. Je l'interpelle et lui dis que je souffre du genou, et en lui montrant à quel point il est gonflé, je lui glisse en anglais: «Bon, je suppose que vous allez me conseiller d'arrêter» (ce qui serait évidemment nullement envisageable..), le médecin me répond un magnifique: «No, this is Spartathlon..». Je sais qu'il sait. Il sait qu'on est prêt à tout pour voir Sparte. A ramper les 86 kms restants si le chrono le permettrait.. Il étudie le problème et juge que c'est probablement une inflammation d'un tendon au niveau du genou. Il me demande si je veux des cachets, je lui dis que je ne prends pas de médicaments, et va donc me chercher de la Voltarène en pommade. D'abord il passe un gros coup de bombe de froid sur le genou puis la pommade. Idem pour le genou droit. Et puis, voilà, 'faut repartir. En regardant aujourd'hui ma Garmin, je suis étonné de voir que cet arrêt au stand, n'aura finalement duré que 10 minutes au final, je n'ai donc vraiment pas traîné, les barrières horaires encore dans un coin de ma tête, alors que sur une course 'normale' clairement là je me serais posé un peu plus longtemps, surtout après des derniers kilomètres aussi pénibles..
Mais bon, «This is Spartathlon»: c'est un combat, et il n'y aura que les plus forts/courageux qui verront Sparte et sa statue du roi Leonidas. Place à cette section totalement à part de cette longue course: la partie Montagne, avec donc 2 kms de montée pour avaler 300m de D+ puis 2 kms de redescente.
Ça me fait tout bizarre de quitter le bitume et me retrouver en pleine colline entouré de caillasse. Pas de changement de chaussures évidemment pour moi: pas d'assistance pour ensuite me rendre mes Asics de route, une fois la partie trail passée. Je regarde devant moi, ou plutôt en haut de moi: c'est vraiment une terrible ascension qui nous attend. Évidemment ça marche sur cette partie, certain plus rapidement que d'autres. Ayant quand même fait un peu de trail avant (si, si, ça m'est arrivé, quelques petites courses dans le passé..), je monte avec un pas plutôt décidé à une allure que je pense correcte après 160 kms dans les jambes. La bombe de froid et l'anti-inflammatoire semblent avoir fait leurs effets, le genou est moins douloureux, mais bon, on ne court pas là.. Cette partie de montée raide est bien sûr rude physiquement mais plutôt agréable mentalement avec enfin un peu de variation dans notre marche en avant et un décor assez dingue. Par contre la pente est folle, je calme mon allure de marche, parce que là mon cœur s'emballe.. On se retrouve comme dans un ultra-trail de montagne, avec toutes les petites loupiotes (bon, ok, les 5-6 visibles devant moi) qui serpentent tout le long du flan de la montagne. On passe les 1000m d'altitude, il ne fait vraiment pas chaud. Il y a beaucoup de vent, je suis content d'avoir mis t-shirt manches longues, veste Bonatti et tour de cou. C'est vraiment dur, beaucoup plus que je ne pensais, et je suis content quand j'attaque le dernier lacet pour arriver au sommet d'où un grand pylône nous contemple de haut. Il y a un photographe au sommet, je pense que j'arrive encore à décrocher un sourire avant que son flash ne se déclenche. Là-haut, avec un vent qui semble vraiment glacial, il y a le CP48, un petit ravito', où je prends un verre de coca, mais ne traîne pas. Allez, hop, on bascule, place à la descente, pour perdre 300m de D+. D'ici-haut je vois une dizaine de coureurs, ou plutôt marcheurs à ce moment-là, descendre en lacets jusqu'au village de Sangas en bas, à très petite allure. Je me dis qu'il est possible quand même de courir avec des chevilles familières aux terrains techniques. Je m'élance donc à belle allure alors que je vois d'autres coureurs vraiment galérer et être en retenu, et glisser. Il ne faudra pas plus de 2 minutes pour que je sois comme eux: je n'ai peut-être pas assez tenu compte du fait que j'étais avec mes chaussures de route, que mes jambes, raides, ne pouvaient plus faire de mouvements sur les côtés et que les chevilles n'avaient plus du tout la flexibilité pour s'adapter à ce terrain technique et dangereusement glissant, avec de petites pierres qui roulent sous nos pieds.. Je manque de tomber une première fois, puis une seconde, et comme on longe un vrai vide, je rentre dans le rang et descends avec beaucoup plus de précaution. Surtout qu'avec des mouvements inhabituels, une crampe n'est jamais loin, et avec ce terrain, une entorse de la cheville n'est pas improbable non plus.. Bref, piano - sano [non, ce n'est pas du grec]. Notons d'ailleurs que 'mon pote' Lin fait tout ça (montée puis descente) en chaussettes-tongs..
Alors que je pensais que cette descente allait être plutôt chouette après tout ce bitume douloureux et monotone, finalement je suis bien content d'en finir et de le retrouver ce bitume justement.
On arrive au petit village de Sangas, où un petit ravito' nous attend. On est au km 165, il reste un peu plus de 80kms. Cette partie trail était usante, par son dénivelé à monter puis descendre et par les mouvements qu'elle a imposées à nos pauvres jambes raides. Je me pose un peu au ravito' autour d'une table en bois. Je m'alimente, mais jalouse un peu le coureur assis à mes côtés qui a une assistance qui lui prépare un bon sandwich. C'est l'équipe israélienne que j'ai déjà croisée plusieurs fois sur le parcours, avec des coureurs de leur délégation courant sur des allures similaires apparemment. Ils me proposent un sandwich, j'accepte avec grand plaisir, 'toda raba' [non, ce n'est pas du grec ça non plus].
A noter qu'à l'instar du désormais fameux Taïwanais Lin, il y a bien sûr d'autres coureurs avec qui on se croise assez régulièrement durant la course, et encore plus avec leurs équipes d'assistance qui attendent aux différents ravito's qui l'autorisent. Du coup, je croise assez souvent donc ces gars de l'équipe israélienne, mais aussi polonaise, italienne et deux filles sud-africaines avec qui j'échange quelques mots en hollandais. Y'a aussi un américain, faisait l'assistance de sa copine, qui est toujours là pour me glisser des mots gentils («Way to go, bro', let's go, you got this man! » [non, pas du grec, toujours pas..]. L'ambiance avec tous ces gens de toutes ces différentes nations est vraiment dingue, et contribue aussi à la particularité / magie de cet événement.
Bon, allez, poursuivons [la course.. comme ce récit.. (les 2 étant vraiment trop longs..)].
Désormais on se dirige vers Nestani, où une grosse base vie nous attend, ce sera le CP52 (sur 74 au total donc) et il est situé au km 172. Un sac m'y attend, c'est donc désormais le nouveau sous-objectif: allez, moins de 10km à faire. La route descend agréablement, mais hélas je n'ai plus les jambes pour vraiment en profiter et encore moins avec mon genou gauche qui se remet à gonfler et à être douloureux.
J'arrive à la base vie en question, à 6h20, de nuit donc encore. C'est d'ailleurs l'heure la plus froide: le jour n'est pas encore levé, y'a de l'humidité et le corps est fatigué et se languit (pour l'instant) de retrouver le soleil.
J'ai plus d'une heure d'avance sur l'heure de fermeture de ce check-point, mais je vais devoir prendre du temps à ce ravito', avec la logique encore de m'alimenter, récupérer mon sac, me changer, remplir ma flasque et soigner mon douloureux genou.. (tout en me reposant quand même aussi, si possible..). Je vois par ma Garmin que ceci sera mon arrêt au stand le plus long: 25minutes. Dans mon petit sac je découvre la totale: de la StYorre, une barre et un gel, mais aussi et surtout une casquette (parce qu'on va attaquer la 2nde journée, avec de terribles températures attendues encore), une serviette (pour me refaire une (très relative) beauté), un débardeur blanc (même raison que la casquette), un short, un caleçon, une paire de chaussette et de la crème anti-frottement.
C'est donc reparti pour une toilette de chat et un striptease intégral pour repartir sur du neuf. Quoi que: j'ai encore bien trop froid pour me mettre en débardeur déjà, du coup je garde mon manche longue et ma veste. Au moment du changement de chaussettes, je constate que mes pieds sont plutôt en bon état, y'a pas vraiment de grosses ampoules, j'ai bien préparé mes pieds les semaines avant la course et les changements de chaussette et la Nok font leur effet.
Maintenant, il faut que je fasse quelque chose à nouveau contre mon inflammation au genou. J'appelle un kiné, et lui demande s'il peut mettre de la bombe de froid et de la crème Voltarène. Direct' ça soulage un peu la douleur, et après avoir mangé encore un bout, je peux enfin repartir. Clairement après un tel arrêt, mon avance sur la barrière horaire a diminué, mais bon, la distance qui me sépare de l'arrivée a fait de même, donc je ne m'inquiète pas trop sur ce point.. à condition bien sûr que les jambes puissent continuer à avancer..
Je repars donc, non pas en débardeur comme prévu (sachant que je pensais repartir d'ici quasiment de jour), mais habillé de plusieurs couches. J'aurais donc ça sur moi jusqu'à mon prochain sac, espérons donc qu'il ne soit pas trop loin et que j'y arrive avant la grosse chaleur de la journée..
Bon, allez, vers où se dirige-t'on désormais? Je regarde au dos de mon dossard et vois que mon prochain sac se trouve à une grosse base vie encore, le CP60 qui se trouve au km 195. Ça va être le prochain objectif.. enfin, ce que j'attends avec encore plus d'impatience en fait est le lever du soleil. L’apparition du soleil aura plusieurs vertus: au niveau des températures bien sûr avec la chaleur qu'elle va amener (euh, c'est une vertu pour les heures matinales.. après ce sera un terrible vice..); au niveau de la vision, avec l'extinction des frontales et une meilleure vue; au niveau de l'organisme, avec la libération de sérotonine (qui, en gros, nous booste) et la baisse de la mélatonine (qui, en gros, nous endort); et au niveau mental, avec le début de la 2nde journée donc, qui est bien sûr la dernière, tout ceci prenant au max fin à 19h. Bref, vivement le lever du jour donc, qu'on en finisse avec cette trop longue nuit.. (oui, même si rapidement après je risque de le maudire ce soleil..)
Il est 7h du mat', on en est donc à 24 heures de course. Je regarde ma montre et vois que j'ai parcouru plus de 173kms. C'est assez dingue: c'est une marque vraiment correcte sur une épreuve (totalement plate, elle) de 24h (ça ferait 2ème à Peynier par exemple), mais ici ce n'est qu'une base juste suffisante pour passer les barrières horaires, avec bien sûr encore plus de 70kms à faire..
Cette partie de parcours se situe dans la plaine agricole de Tripolis. C'est relativement plat, et on passe quelques hameaux. Le jour se lève petit à petit. Ma foulée n'est vraiment pas aérienne, c'est compliqué de garder de la souplesse. Mais plus personne autour de moi n'a l'air d'être facile là, on est tous dans le dur. Surtout la fille que je vois au loin devant moi. En me rapprochant petit à petit, je la reconnais: c'est une hollandaise de notre équipe, Mascha. Elle ne devrait pas être là, elle devrait être bien plus proche de l'arrivée elle, championne qu'elle est (8h30 au 100km, 125kms au 12h.. et ancienne cycliste professionnelle). D'ailleurs c'est le premier truc que je lui dis en arrivant à sa hauteur: «Mascha, wat doe jij hier ?!» [= «Mascha, qu'est-ce que tu fous là?» (ce n'était pas du grec, non..)]. Elle est en perdition (alors qu'elle était dans le top 20 un moment): elle a de gros problèmes gastriques depuis des heures et souffre terriblement d'ampoules aux pieds. Et comme elle n'avance pas, elle est frigorifiée en ces heures encore matinales. Dur de la voir comme ça. Je lui file mon tour-de-cou, je reste un peu avec elle, tente de la rebooster et lui dis qu'on a de l'avance sur la barrière, que le soleil va bientôt la réchauffer et que si elle arrive à s'alimenter, elle pourra atteindre Sparte en trottinant à rythme raisonnable. Mais je vois bien que son rythme là est trop lent. Elle est en chaussures de trail (qu'elle a mises pour la partie montagne) mais ne veut plus changer de chaussures pour ne pas ouvrir la boîte de Pandore et empirer ses terribles ampoules sous ses ongles (je les ai vues le lendemain après la course: en effet, pieds totalement explosés). Je reste avec elle jusqu'au ravito' où on retrouve son assistant, un belge, ancien Spartathlète, vraiment trop cool avec qui on a beaucoup rigolé avant la course. On sait que ça sent le roussi pour Mascha, elle est probablement partie trop vite, avec peut-être un objectif de classement en tête, tel Icare elle s'est brûlée les ailes et vu son état on sait qu'elle risque de ne pas finir. Lorsque je les quitte tous les deux, je suis hélas guère optimiste sur ses chances de réussite.. (Et, en effet, l'équipe hollandaise m'annoncera qu'elle a renoncé un peu plus tard, comme beaucoup d'autres coureurs)
Pour ma part, je continue d'avancer. Là, ça y'est: la température est nickel. Mais on risque donc bientôt de basculer dans du chaud, du trop chaud.. Sur ma gauche je regarde la montagne et vois qu'elle commence à être un peu illuminée par les rayons du soleil. Je sais que petit à petit on va y avoir droit aussi. J'ai entrouvert ma veste, bientôt je vais l'enlever, mais je ne vais pas pouvoir m'en débarrasser tout de suite: mon prochain sac n'est qu'au CP60 au km 195, encore quelques bornes donc.
Dès que le soleil se met à briller au-dessus de nos petites têtes fatiguées, il commence à faire chaud. Je retire la veste et mes manchons, que je cale dans ma ceinture élastique. Mais je suis encore dans le t-shirt manches longues de la nuit, j'ai hâte de le retirer pour mettre du sec et de manches courtes.
Ça y'est, on arrive à Tégée, ancienne cité grecque là encore, avec ses ruines du temple d'Athéna Aléa. Mais à ce moment-là, pour moi ce n'est que la ville où y'a la base vie n°60, qui marque la fin d'une nouvelle sous-partie, et où je vais donc pourvoir me poser un peu, m'alimenter et me changer donc. J'y arrive à 10h (l'heure de fermeture y est de 11h10). Et là, qui je retrouve?: Gilles, la légende française du Spartathlon, monsieur Finisher 18 fois. Hélas pour lui ça ne sera pas une 19ème cette année: il a été arrêté par les barrières horaires. C'est dingue. Mais, malgré ça, il n'a rien perdu de sa bonne humeur et gentillesse: il me prend dans les bras et est trop content pour moi que je suis encore là. Il me dit que là c'est gagné, que j'ai une bonne avance et fait le calcul pour moi sur l'allure à tenir sur les 50derniers kilomètres pour arriver dans les temps. En théorie ça semble bon en effet, mais il ne faut pas exploser. Il reste un peu plus de 50kms à faire, en plein cagnard alors que j'ai déjà presque 200kms dans les jambes.. Mais l’enthousiasme de Gilles est contagieux et me booste bien.
Mais bon, il faut continuer à faire les choses bien. Je récupère donc mon sac et découvre là avec étonnement qu'en plus de l'alimentation, j'y ai juste laissé un t-shirt.. manches longues.. Hum, pas super ça, parce que je pensais passer en manches courtes pour les heures (ensoleillées) qui me restent jusqu'à Sparte, mais pas si dramatique en fait: le t-shirt est blanc et me protégera plus des coups de soleil, avec une peau, notamment au niveau des bras, bien brûlée déjà. Et ça fait plus de matière à tremper aux nombreux petits ravitaillements. Je change de haut donc, et prend un peu le temps (de me poser et m'alimenter). Et, comme il y a un stand médical, je redemande mon traitement spécial anti-inflammation-du-genou-gauche-qui-recommence-à-gonfler: bombe de froid puis crème Voltarène. On plaisante encore avec Gilles, il me checke et me souhaite bon courage, et voilà que je suis reparti, après quand même une pause de 20 minutes, mais évidemment indispensable pour un corps de plus en plus meurtri.
Bon, maintenant, c'est quoi le prochain sous-objectif..? Si on suit ma logique initiale, ce serait le prochain point où se trouve un de mes sacs, donc en l'occurrence le CP68 qui se trouve au 224ème km. Mais là, à ce moment de la course, avec un corps de plus en plus dans le dur, des conditions de plus en plus compliquées, et, logiquement, une allure de plus en plus faible, cet objectif est beaucoup trop loin pour s'y projeter, là on commence vraiment à rentrer dans une bataille contre soi-même, et chaque kilomètre en plus est un combat, donc je n'arrive plus à me projeter au-delà de quelques kilomètres; donc, à ce moment-là de la course, c'est la barrière symbolique des 200kms vers laquelle je vais m'efforcer de courir plutôt, donc dans 5 petits/énormes kilomètres..
Les conditions sont vraiment hard à nouveau, la route ne cesse de monter, tout comme les températures, il est 11h, elles sont proches des 30 degrés. On tente à nouveau de baisser la température du corps, en abusant aux ravito's du renversage d'eau sur la tête, du calage de glaçons sous la casquette et du coinçage d'éponges trempées dans le t-shirt. Les énormes coups de soleil de la veille sur les cuisses se font sentir (la marque de bronzage/cramage est déjà impressionnante), et finalement ce n'est pas une mauvaise chose d'être en manches longues blanches en haut.
Je passe la barrière symbolique des 200kms un peu après 11h, ça fait donc un peu plus de 28 heures de course. Il reste moins de 50 kms et 8 heures de souffrance au maximum, dans 8h, quoi qu'il arrive, ce sera fini tout ça.
Mes kilomètres sont de moins en moins rapides, et sont composés de plus en plus de parties marchées. Je commence vraiment à être de plus en plus dans le dur.
Je retrouve mon compatriote Sjirk [oui, on n's'y habitue pas à ce prénom..], avec qui on papote beaucoup. Il a l'expérience et c'est vraiment un roc. Il me rappelle qu'il faut relancer l'allure quand la route s'y prête (rarement..) ou qu'il ne faut pas trop traîner aux petits ravito's quand j'y suis un peu trop lent et cède un peu trop aux chants des sirènes en m'asseyant trop longuement. Mais chacun ayant son allure, on ne reste pas côte à côte sur des kilomètres entiers, en fait on se croise, et se recroise.. Un peu plus désormais qu'avec Lin et ses tongs donc, et avec une vraie conversation pour ce qui est de Sjirk..
Autant le 1er jour j'étais concentré sur moi-même et n'avais pas trop envie de parler, en voulant avancer à un bon rythme pour avaler un max de kilomètres et grignoter un max sur les sévères barrières horaires, autant là j'ai besoin de partager, parler, échanger (des regards, des signes de la main). On est quand même beaucoup moins de coureurs sur le parcours (entre les écarts creusés entre coureurs et tous les abandons) et on est hélas sur une grande route sans hameaux à traverser et sans public du tout, mais avec toujours (même si y'en a moins) des voitures de suiveurs/assistants qui nous dépassent régulièrement pour rejoindre le prochain point de ravitaillement. La majorité nous encourage, que ce soit en anglais, espagnol, grec ou polonais. Et il y a les voitures des simples utilisateurs de la route, qui, certes, nous frôlent à toute allure, mais n'hésitent pas à donner un coup de klaxon pour nous saluer.. Je prends tous les encouragements et essaie de garder le moral alors que c'est vraiment hard sur cette route montante en plein cagnard. Je papote rapidement avec un américain, un québécois aussi, et recroise Lin avec qui je ne peux toujours pas parler.. Heureusement qu'il y a toujours Sjirk avec qui je passerai par intermittence plusieurs heures.
La route continue à monter jusqu'au km 215. On passe ce point après 30h30 de course. Il reste 30 bornes environ. On peut, petit à petit, commencer à se projeter vers Sparte et l'arrivée.. Mais, dès qu'on se met à s'imaginer déjà la ligne droite finale, l'ambiance, etc.,la réalité de l'instant nous rappelle à l'ordre: 30kms c'est énorme en fait dans de telles conditions et avec des jambes aussi usées.
Bon, projetons-nous simplement au CP68, au km-224 alors, où m'attend donc mon avant-dernier sac. Ce n'est pas tant son contenu qui m'intéresse, mais plutôt le fait que ce sera une bonne raison de m'asseoir un peu et de me reposer quelques petites minutes. Là toutes les raisons seraient bonnes pour arrêter de courir un peu, pour se poser, dire 'pouce' dans ce combat physique et mental. Autant je m'interdisais de faire un pissou durant le 1er marathon de la course, autant là je suis content de céder à la tentation quand celle-ci me vient, pour avoir ça comme excuse pour m'arrêter dans le bas-côté une petite minute.. Bon hélas, guère d'envies désormais hélas de faire pipi alors que le corps frôle avec la déshydratation. Je tente à chaque ravito' de rentrer du liquide (eau et/ou coca), mais pas sûr que ça compense les litres de transpi' qu'on perd sous une telle chaleur. Je suis néanmoins très satisfait niveau alimentation et hydratation: mes intestins continuent à bien fonctionner, donc je peux toujours mettre l'essence dans le moteur dont celui a besoin pour poursuivre la route..
Allez, on arrive au CP68 (sur 74 en tout). Je récupère mon sac. Il s'y trouve un débardeur orange et une paire de chaussettes propres avec de la crème anti-frottement. Mais je n'utilise rien de tout ça: pour le débardeur, je crains désormais d'exposer le haut de mes bras au soleil et préfère rester en manches longues, et pour les chaussettes et la crème Nok, je préfère garder mes pieds comme ils sont là, sachant qu'ils ne sont pas trop douloureux et, je pense, pas trop ampoulés, donc ne touchons à rien sur ce point-là. Sinon, je suis content de retrouver dans le sac de la StYorre (certes tiède.. [hmm, oui, c'est délicieux..]), une barre, un gel et une compote (tiède aussi bien sûr..). Je suis content aussi de retrouver des gens tout simplement à ce gros ravito', à commencer par les bénévoles, même si la conversation se limite à des 'Kalispera' [=Bonjour], 'Efkharisto' [=Merci] et 'Yassas' [=Au revoir, oui oui, tout ça c'est du grec..] au moment de partir. J'y retrouve également Gilles et sa femme aussi, il me dit que c'est gagné, me calcule encore l'allure à tenir jusqu'à l'arrivée et me décrit un peu la suite du parcours.
Désormais la route va être très majoritairement en descente et ce jusqu'à Sparte, qui est à 22 kms environ. Il est environ 15h, j'ai perdu de la marge sur les barrières horaires, mais j'ai encore 4 heures pour arriver à Sparte, c'est évidemment largement dans mes cordes et même gagné pourrait-on déjà dire, mais ça je ne me le dis pas et je n'y pense pas: je reste dans ma course et vise simplement le prochain point, qui cette fois-ci est tout simplement le prochain ravito', dans 4 bornes environ, plus loin je ne peux pas me projeter, je suis trop dans le dur et chaque kilomètre est trop interminable pour penser à plus loin..
Je regarde de plus en plus ma montre, pas du tout pour ma vitesse ou même l'heure, non, juste pour les kilomètres, pour voir s'ils en restent encore beaucoup jusqu'au satané prochain ravito'. Je marche de plus en plus, même quand c'est plat ou même descendant, le réservoir d'énergie commence vraiment à être vide. Je déteste cette route, ce soleil, cette transpi' qui me tombe dans les yeux, cette éponge qui ne veut pas rester coincée au niveau de mon cou.. Quand je regarde au loin, je vois juste une route bitumée à perte de vue, il y a quelques petits points de coureurs par-ci par-là, qui avancent fragilement sur ce mirage de flaque d'eau visible sur le bitume brûlant. Il fait 32 degrés, ça devient insupportable. L'eau mise dans ma petite gourde est déjà tiède. Les glaçons glissées sous la casquettes fondent comme.. euh.. ben, glaçons au soleil.. C'est un enfer. Je suis vraiment dans le dur. Là, même le dernier km qui me sépare d'un ravito' me semble interminable. Plus aucun coureur ne parle ou plaisante là, tout le monde est dans sa bulle de souffrance. On en sort un peu quand on arrive aux ravito's, je me nourris des sourires des gens, de leur regards mi-compatissants, mi-admiratifs, de leurs bravos. Et puis on repart, temporairement réhydratés et reboostés, avant d'être à nouveau secs, desséchés et en souffrance rien qu'un kilomètre plus loin. Ce n'est évidemment pas une partie de plaisir, mais quelque part c'est aussi ce que tous les coureurs ici présent recherchent sur de telles épreuves. On cherche à découvrir nos limites. On cherche à les repousser. A voir ce que physiquement et mentalement on arrive à endurer. Avant ces limites on les rencontrait après un marathon, puis c'était sur un 100km, puis sur du plus long encore.. jusqu'à se retrouver donc sur un 246km à faire en plein cagnard en moins de 36heures. On est là pour ça en fait. Le bonheur sur la ligne l'arrivée sera proportionnel à la douleur rencontrée pour la franchir. La douleur de ces instants de combat contre soi-même mais aussi de l'investissement en temps et énergie durant les mois d'entraînement. Le but n'est bien sûr pas de se mettre dans le mal pour le mal, c'est pour ressentir in fine [non, pas du grec..] la joie, la fierté, la béatitude d'avoir réalisé un tel défi/projet et d'être allé au-delà de la douleur justement.
Bon, évidemment, à ce moment-là de la course, après 231 kms et 33 heures de course, je suis loin de voir ce tableau global, j'suis juste en train de serrer les dents et de tenter d'avancer malgré tout, pour, ne serait-ce qu'atteindre le prochain p#tain de ravito'..
On y est enfin. CP71, km 233. Je tente de manger du salé, je bois, m'arrose la tête, remet des glaçons sous la casquettes et repars, «Efkharisto, yassas». Il reste 13 kms, 13 petits kilomètres, 13 immenses kilomètres.. Hum, quoi que.. non, pas vraiment en fait: déjà au km 244 il y aura le tout dernier ravito' et là je retrouverai mon dernier sac avec le t-shirt des Pays-Bas mais aussi et surtout le drapeau. Et après ce sera juste la rentrée dans Sparte et la marche triomphale dans ses rues sous les acclamations du public, avec en ligne de mire l'immense statue de Leonidas. Bref, en gros, il faut que j'aille jusqu'à ce dernier ravito' et ce sera bon. Ca y'est: mentalement je commence à me dire que c'est vraiment gagné en fait et commence à me projeter dans la dernière ligne droite, à m'imaginer ces derniers mètres, dont j'ai rêvés depuis des semaines. Ça va être dingue.. mais bon, 'faut que je reste cool (dans les 2 sens du terme), 'faut d'abord que je passe ces 11kms jusqu'au tout dernier ravito' donc.
Je n'ai toujours pas d'ailes (le Minotaure n'en avait pas..) et mes jambes sont toujours aussi ruinées, donc ça continue d'avancer péniblement. Finalement, j'arrête de fantasmer sur l'arrivée et me remets juste à rêver d'atteindre le prochain point d'eau. Depuis des heures ce sont à peu près les mêmes coureurs que je croise, chacun ayant sa propre allure et ses propres intervalles de parties marchées. Je retrouve Sjirk encore et toujours, avec qui on ose petit à petit quand même mentionner l'idée qu'on va y arriver. C'était clairement tabou avant. Je revois Lin et ses tongs aussi, qui, en me voyant, me crie un 'Spartaaa' que j'arrive à comprendre.. Par contre les deux arrivent encore à bien courir en descente, ce qui n'est pas mon cas. En plus, en voyant l'heure qu'il est, 17h30, je sais que c'est évidemment largement bon pour arriver dans les temps, qu'il n'y a vraiment plus aucune raison de se presser. Je n'ai nullement l'envie de grignoter quelques minutes ou quelques places, l'idée de Spartathlon c'est de le finir dans les temps, que ce soit en 34h55 ou en 35h40, je m'en contrefous. Et pour le classement encore beaucoup plus.
Dans une descende Sjirk relance et là je le laisse définitivement partir. Je le reverrai à l'arrivée, on sera tous les deux Spartathlètes (bon, lui l'a déjà été 2 fois..) et on fêtera ça ensemble. Là, je continue à marcher à mon rythme, j'ai tellement donné pendant ces 34h30, mon corps semble à bout. Quelques coureurs arrivent à courir encore et me dépassent, je revois parfois des coureurs juste aperçus la veille, alors qu'on n'avait fait que 30 bornes. Désormais on en a fait 241.
Il reste juste 5 kms. Je viens de quitter l'avant-dernier ravito' et me dirige donc vers le tout dernier, le CP74. Il marquera l'arrivée dans la ville de Sparte. P#tain: Sparte, enfin Sparte, cette cité légendaire qui fut un rêve à atteindre pendant toutes ces heures.. et même tous ces mois.. Je me retrouve pour la toute première fois de la course vraiment tout seul. Pas de coureurs devant moi. Et dernière je ne sais pas: jamais je me retourne en course. J'ai une légère inquiétude de m'être peut-être trompé de route alors qu'on est rentrés dans les faubourgs, mais une marque jaune sur la route avec 'S P', vue des centaines de fois depuis hier matin, me rassure vite. Et au loin, à un carrefour, je vois quelques gens rassemblés, en m'approchant je me rends compte que c'est le tout dernier ravito'. Le CP74 du km-243,5.
Les bénévoles m'y accueillent et me félicitent. En prenant mon tout dernier sac, je vois qu'il y a l'éternel Lin là aussi, incroyable. Il m'avait pourtant semé depuis des kilomètres déjà. Mais là il semble se changer où j'sais-pas-quoi, sûrement pour mettre les couleurs de son pays, Taïwan. Moi je mets le maillot Team NL et surtout prends mon drapeau tricolore (rood-wit-blauw). Et là, l'émotion me vient et m'envahit. Y'a le fait de se draper dans les couleurs de son pays, y'a le fait de savoir que ce qui finissait par être quand même un chemin de croix va se terminer, et y'a bien sûr et surtout le fait d'être en passe de finir le p#tain de Spartathlon et de devenir, à tout jamais, Spartathlète. Avec le drapeau sur les épaules je reprends ma marche en avant.. ou plutôt ma course en avant: j'arrive tout à coup à vraiment recourir à belle allure, finie la douleur aux jambes, finie l'inflammation au genou, finie la chaleur, finie la fatigue, je vais, cours, vole.. sur ces 2 derniers kilomètres (j'arrive à refaire du 10km/h..). Le corps et l'esprit peuvent être incroyables quand même..
Je cours dans les rues de Sparte (Sparte, enfin Sparte, Sparte ce rêve..!), les gens sur les trottoirs et dans leurs voitures me saluent bruyamment. Les gens applaudissent, klaxonnent, me crient des bravos. Ce n'est plus l'effort et la fatigue qui marquent mon visage, mais l'émotion. Sur de tels défis ultra-longs, pour moi c'est souvent avant la ligne droite finale que les émotions sont vraiment les plus fortes («On n'est vraiment heureux qu'avant d'être heureux»..?). On est alors conscient qu'on va y arriver, qu'on va la franchir cette ligne d'arrivée, que le défi va être relevé, et que l'explosion de joie finale est imminente; et dans ces avant-derniers kilomètres on est encore (assez) seul pour profiter pleinement avec soi-même du sentiment de satisfaction intense qu'on ressent, avant de se retrouver dans les derniers mètres entouré d'une foule -dont ses proches-, avec laquelle on partage plutôt sa grande joie, avec, alors un gros sourire communicatif sur le visage..
Le drapeau sur les épaules devient une cape de super-héros, des ailes, qui me portent jusqu'à la longue ligne droite finale. Je reviens même sur un coureur devant moi, en orange également et avec un drapeau rouge, blanc, bleu aussi: c'est Sjirk, qui prend son temps pour finir et savourer. On se congratule et on se dit qu'il faut en profiter à fond, qu'on s'est battus toutes ces heures pour ce moment. Je reviens même sur un autre coureur, mais lui avec le drapeau grec sur les épaules, je ne vais pas le doubler sur cette dernière centaine de mètres, je garde la distance pour qu'on puisse chacun profiter totalement de ces moments uniques.
Au loin je vois la fameuse statue géante de Léonidas, je l'ai vue mille fois en photo et dans les rêves, mais là c'est en vrai, même si ce moment semble irréel. Plus on s'approche, plus la foule est dense. Des enfants courent à côté de moi pour ces derniers mètres, me tapent dans la main. Dans le public le long de l'avenue y'a les membres de la délégation hollandaise, ceux qui ont déjà fini et ceux qui ont hélas dû s'arrêter. J'en vois certains, mais en fait j'suis dans une sorte de bulle de joie et de brouhaha, où je ne distingue plus vraiment tout. Et je ne perds pas de vue Leonidas, qui symbolise l'arrivée et la fin de cet incroyable périple débuté au pied de l'acropole à Athènes il y a 35heures et 11minutes (mais débuté aussi il y a plusieurs mois déjà, sur les petites routes agricoles en bas de Charleval). C'est magnifique, c'est fort, c'est indescriptible en fait. Est-ce que c'est aussi beau que je l'avais rêvé? Non, encore plus. Je franchis la mini ligne d'arrivée et me présente devant l'immense statue. J'ai réussi ce qui était pour moi encore impensable il n'y a pas longtemps. Comme le messager Philippidès, je suis allé à pied d'Athènes à Sparte, en moins de 36heures. J'ai le droit d'embrasser le pied du roi Leonidas, ce que je fais avec honneur et un sentiment d'incrédulité presque. Je n'ai pas arrêté d'attendre et espérer ce moment durant tous les rudes entraînements. C'était comme un fil d'Ariane [et, oui, on oublie pas les expression de la mythologie grecque..] durant ces interminables séances sur bitume.
Après avoir embrassé le pied de la statue, je bois l'eau de source de la coupelle que la fille en tenue traditionnelle me tend. Et puis on me pose la couronne d'olivier ('kotinos') sur la tête et on me donne un trophée. Ensuite séance photos bien sûr, notamment avec Sjirk qui a fini juste derrière moi. Ensuite on est pris en charge par une équipe médicale qui vérifie notre état (plusieurs finishers sont perfusés pour lutter contre la déshydratation), et, chose unique là aussi, et qui s'inscrit là encore dans l'histoire de la Grèce antique, on nous.. lave et soigne les pieds! Pour ma part, la perfusion n'est pas nécessaire (je me sens vraiment bien) et mes pieds ne sont finalement pas si abîmés que ça, surtout quand je les compare aux autres finishers à mes côtés. Et, puis après tout ça, il y a un taxi qui nous attend pour nous ramener chacun individuellement à l'hôtel qui nous est réservé, distant qu'à une centaine de mètres pourtant (organisation aux petits soins, c'est incroyable).
Là-bas je retrouve mon camarade de chambrée, JaapJan [encore et toujours ces prénoms..], finisher lui aussi. On se félicite, on est trop contents l'un pour l'autre. Lui il a mis 4h de moins que moi, et finit tout simplement 1er hollandais. Grandiose. Je me couche et, après une tel périple, n'ai aucun mal à rejoindre les bras de Morphée..
Si la course elle-même est donc finie oui, l'aventure Spartathlon ne l'est pas encore: on a encore 3 nuits d'hôtel, mais aussi et surtout des cérémonies prévues à Sparte, puis de retour à Athènes (avec notamment le grand gala le mardi soir). Et il y a aussi un truc moins informel, qui ne figure pas sur le programme officiel, mais dont les anciens finishers hollandais m'ont parlé: la course nudiste du lendemain sur le stade athlétique de Sparte..(!)
Et, en effet, le lendemain matin de ces 246kms, les finishers de cette édition (194 au total, il y a eu 50% de non-finishers!), après une courte nuit et avec les jambes explosés donc, se retrouvent dans le plus simple appareil (bon, majoritairement en sous-vêtements) sur la piste d'athlétisme derrière la statue du roi Leonidas, pour y faire un traditionnel tour de piste. Là encore, y'a quand même une logique historique derrière: dans la Grèce Antique, aux jeux olympiques notamment, les athlètes étaient nus, et il y a avait la sublimation du corps sportif.. Bon, là, il faut avouer que les corps sont athlétiques et beaux, mais la démarche est beaucoup moins belle. Comme beaucoup d'autres, c'est en boitant que je fais ce tour de stade, avec la championne hollandaise Hinke [magnifique prénom encore..] à mes côtés, dans une superbe ambiance de camaraderie entre nous tous, Spartathlètes.
Le lendemain, un car nous ramène à Athènes, et devinez donc derrière qui je me retrouve assis..? Derrière Lin bien sûr, mon pote non-anglophone de Taïwan! On se salue, se félicite et essaie de débriefer notre course, mais sans anglais de sa part, et sans chinois de la mienne, le dialogue est terriblement décousu, voire absurde. Il me montre sa photo d'arrivée: il est à côté de Leonidas.. mais en chaussures..! Je comprends (après des minutes de (non-)dialogue) qu'au dernier point de ravito', où moi j'ai juste changé de t-shirt et pris le drapeau, lui a quitté ses tongs pour passer en chaussures de running classique, et ce parce que c'est.. «more beautiful» apparemment.. Et puis, il nous prend en photo, on se félicite et remercie encore pour la course.. et là, il cherche dans son sac et me tend.. ses tongs. Celles avec lesquelles il a couru les 246kms. Je ne comprends pas tout de suite, je suis un peu médusé mais en fait, il me les offre! Il m'offre ses claquettes avec lesquelles il a fini le Spartathlon. Pff, comment dit-on 'Merci beaucoup' en chinois..?
Et puis, bref, une fois de retour à Athènes, tous ensemble, avec la délégation hollandaise en particulier, on profitera ensuite à fond des derniers jours en Grèce, avec, pour finir cette incroyable semaine, le grand gala de clôture avec remise des médailles, pour chaque finisher de chaque pays. On retrouve un peu tout le monde, dont les vainqueurs (grec chez les hommes, finlandaise chez les femmes), dont la légende Gilles, mon pote aux tongs Lin et tous les autres, inconnus en début de semaine, désormais unis par cet exceptionnel événement, qui va bien au-delà de la course. Une fois la médaille au cou et les discours passés, on passe vraiment en mode fête (/féta.. [désolé..]) et là, avec l'alcool coulant à flot, la nuit devient mythique elle aussi.. mais bon, là ce qu'il se passe en Grèce, reste en Grèce..
Merci / Efkharisto à tous.. et bravo aux courageux finishers de ce récit, vous êtes de véritables Récap'thlètes.
Stéphane
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Platon (euh... Thomasos) (lundi, 28 octobre 2024 23:14)
“La plus grande victoire est celle qu’on remporte sur soi-même" disait le vieux Platon il y a 2400 ans. Il a vu juste quand on lit ton super récap ! (promis juré sur le pied de Leonidas, je l'ai lu jusqu'à la fin). Bravo champion, un autre magnifique exploit à ton palmarès ! Alors c'est sera quoi ton prochain défi ?
Le www.marathondessables.com, une formalité maintenant que tu sais bien porter ta casquette saharienne :-))
Caro (mardi, 29 octobre 2024 00:56)
Incroyable ! Bravo pour ton combat mental et physique, bravo pour ton récit, tu m'as embarqué ! Et je veux les voir en vrai les tongs de Lin !!!
Patrick (mardi, 29 octobre 2024 22:58)
Super Stehp: super compte rendu d'un super exploit. T'es un ultra-champion!
Geneviève (mardi, 05 novembre 2024 22:41)
Epoustouflan!,,,,,,,, Ça y est j'ai compris Fred pour ses "DNF'.
Merci Stéphane pour ce dépaysement , ces fantastiques images et ce magnifique compte-rendu. Félicitations, t'es un super champion et avec ça sans Team pour t'accompagner, chapeau ! Tu t'es offert un bel anniversaire un peu en avance. A propos de Lin j'espère qu'il t'a dédicacé ses tongs ,ici les tongs se portent aux mains pour mieux avancer dans l'eau et à la sortie aux pieds pour se protéger des galets. J'espère que tu récupères. Bon courage et la suite à tes prochains defis. Bises